Le SENAT du SECOND EMPIRE et le TRAVAIL des ENFANTS dans les MANUFACTURES

Dans Parlement[s], Revue d’histoire politique 2012/1 (n° 17), pages 132 à 148

Mis en ligne sur Cairn.info le 25/06/2012 https://doi.org/10.3917/parl.017.0132

 

Résumé

Sous le Second Empire, le Sénat était seul compétent pour examiner les pétitions des citoyens. En attirant l’attention du Gouvernement sur certaines d’entre elles, il pouvait orienter son action. À titre d’exemple, cet article examine son rôle dans l’amélioration du sort des enfants travaillant dans les manufactures. Par humanité, pour des raisons religieuses, sans aucune référence aux doctrines socialistes, il dénonça leur misère physique et morale, ainsi que la mauvaise application de la loi de 1841 dans beaucoup de départements, insista pour la création d’une inspection générale salariée et spécialisée qui remplacerait les inspecteurs bénévoles. Le Gouvernement décida en 1868 que les ingénieurs des mines seraient chargés de cette mission, déposa en juin 1870 un projet de loi aux dispositions plus protectrices, projet qui n’aboutit pas en raison de la chute de l’Empire. Stimulé par quelques sénateurs très motivés, tels que le baron Charles Dupin, Jean-Baptiste Dumas ou Michel Chevalier, le Sénat impérial fut ainsi indirectement à l’origine de la loi de mai 1874

                                         Extrait

Le projet (de loi) annoncé ne fut déposé sur le bureau du Sénat que le 28 juin 1870. Il ne portait en réalité qu’accessoirement sur l’inspection. À ce sujet, l’exposé des motifs soulignait que le système fondé sur le recours aux inspecteurs des mines était une « expérience qui s’annonce favorablement, et dont le succès trancherait si heureusement la question » mais trop récente pour que l’on pût décider ou de l’inscrire définitivement dans la loi ou de l’abandonner au profit d’un autre. Aussi l’organisation de l’inspection était-elle déléguée au Gouvernement, qui aurait à y pourvoir par un règlement d’administration publique. La novation était ailleurs ; le projet de loi, « relatif au travail des enfants dans les manufactures, usines, ateliers, chantiers, mines, minières et carrières », durcissait en effet quelques-unes des prescriptions de la loi de 1841 en ce qui concerne les règles elles-mêmes d’emploi des enfants. Pour ceux qui étaient âgés de 8 à 13 ans révolus (au lieu de 12), la journée de travail était réduite de 8 à 6 heures, et l’obligation scolaire fixée à un minimum de deux heures par jour ; au-delà de 13 ans jusqu’à 16, la journée était également réduite, de 12 à 11 heures. Un « carnet » attestant de l’âge et de la scolarité suivie, servant aussi de livret d’ouvrier, était institué. Enfin, des dispositions spécifiques étaient prévues pour certaines industries ou postes de travail particulièrement pénibles ou dangereux, tantôt plus protectrices, comme l’interdiction de l’emploi des enfants de moins de dix ans dans « les verreries, les hauts-fourneaux, les fonderies de fer et autres métaux, et, en général, dans les usines à feu continu », et de moins de 13 ans « dans les travaux souterrains des mines, minières et carrières », tantôt introduisant des exceptions, telles que l’autorisation du travail de nuit ou l’alignement de la durée de travail sur celle des adultes de la même équipe, sous certaines conditions, dans l’une ou l’autre de ces industries, à partir de 13 ans. Quoique ce ne fût pas sa dénomination véritable ni son objet principal, le projet n’en fut pas moins annoncé par le sénateur secrétaire en début de séance comme étant « relatif à l’inspection du travail des enfants dans les manufactures », puis qualifié de même par le Président en fin de séance. Il convient en outre de noter que le Gouvernement avait choisi de le présenter d’abord au Sénat plutôt qu’au Corps législatif. C’était reconnaître son rôle moteur en la matière, même si, curieusement, dans l’historique de la question tracé par l’exposé des motifs, ses interventions auprès du Gouvernement n’étaient pas mentionnées. Quoi qu’il en fût, une commission fut nommée par l’examiner, mais la guerre puis la chute de l’Empire empêchèrent le projet d’être discuté et voté.De ce qui précède, on conclura que le Sénat témoigna une sollicitude certaine à l’égard des enfants ouvriers. Il s’inquiétait de leur santé et de leur instruction, générale aussi bien que religieuse, et n’hésita pas à dénoncer sévèrement la cupidité des mauvais patrons. Il le faisait dans un esprit philanthropique et charitable, sans rien emprunter aux théories socialistes du moment, ayant même parfois recours à des arguments intéressés : souci de ne pas fabriquer de futurs citoyens justement portés à la révolte contre une société inhumaine ; nécessité de préserver, à terme, les aptitudes physiques du contingent militaire ; dénonciation de la concurrence déloyale entre industriels induite par l’inégale application de la loi. C’est là un constat en parfaite cohérence avec l’appréciation générale qu’on peut par ailleurs porter sur les opinions du Sénat impérial, épris d’ordre et de morale autant que d’humanité.

Francis Choisel
L’Harmattan | « Parlement[s], Revue d’histoire politique »
2012/1 n° 17 | pages 132 à 148
ISSN 1768-6520

 

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