La Sécurisation des mines au xixe siècle. Savoirs, pouvoirs et contre-pouvoirs

ouvrage de Bastien Cabot préfacé par Christophe Prochasson

Édition Classiques Garnier. Collection Histoire des techniques, n°40, 417 p., 15×22 cm

C’est la version remaniée d’une thèse soutenue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, résumée par l’auteur

Broché, ISBN 978-2-406-18957-2, 38€

Relié, ISBN 078-2-406-18956-5, 89€

Cet ouvrage propose une histoire sociale du risque professionnel dans les mines de charbon françaises au xixe siècle, avec une focalisation sur les bassins du Nord-Pas-de-Calais et de la Loire. En s’appuyant sur les sources des ingénieurs des Mines, des médecins des exploitations minières et des délégués ouvriers à la sécurité, il montre comment la sécurité professionnelle a fait l’objet de savoirs, de perceptions et de modes de régulation socialement différenciés. Ce faisant, cet ouvrage propose de réinscrire le risque professionnel, en tant que problème scientifique et technique, dans la trame des antagonismes sociaux et politiques qui caractérisent les sociétés industrielles du xixe siècle. Ainsi, à contre-courant d’analyses sociologiques qui situent l’avènement d’une modernité « réflexive » dans les sociétés post-industrielles du dernier quart du xxe siècle, cet ouvrage démontre au contraire que les sociétés de classes sont aussi des sociétés du risque.

Le premier chapitre propose une vue d’ensemble du système minier au xixe siècle. Il permet de comprendre la distribution et le positionnement sociotechnique des différents acteurs réunis autour de l’extraction minière. L’État joue, dès le début du xixe siècle, un rôle majeur dans l’organisation de cette industrie. Il encadre le droit de concession et, surtout, contrôle l’exploitation technique des mines par l’intermédiaire des ingénieurs du tout jeune Corps des Mines. Ces ingénieurs ont un pouvoir de conseil et de sanction, mais pas d’exploitation directe : celle-ci revient aux exploitants qui, bien souvent, sont issus de ce Corps. Ces derniers organisent l’exploitation, et ont notamment la charge de stabiliser une main-d’œuvre fuyante. La deuxième moitié du xixe siècle voit alors, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, naître les « œuvres sociales » du paternalisme industriel (logements, écoles, caisses de secours, hôpitaux, etc.), censées répondre à ce besoin. Mais l’unité sociale et économique créée par ces regroupements humains détermine en retour une forte cohésion corporative chez les mineurs. Elle contribue à l’émergence du syndicalisme ouvrier dans les années 1880, qui conteste la suprématie des compagnies minières dans tous les aspects de la vie ouvrière.

Le second chapitre revient sur la construction d’une science des risques professionnels miniers par les ingénieurs et les hygiénistes français au xixe siècle. Dès 1810-1813, l’État impérial napoléonien promulgue deux décrets-lois qui fixent les tâches de surveillance administrative et technique auxquelles sont astreints les ingénieurs. Ces textes déterminent alors un important investissement scientifique dans la mesure et la compréhension des risques miniers : par la statistique d’abord ; puis, suite à de récurrentes explosions (dans la Loire au cours des années 1870, à Courrières en 1906), par le concours des sciences physiques et chimiques. Dans le même temps, l’hygiénisme industriel s’intéresse aux effets du milieu souterrain sur la santé des mineurs. Les affections respiratoires sont précocement mises en évidence, mais l’analyse mécaniste qui attribue un rôle déterminant à l’inhalation de poussières est écartée à partir des années 1890 par le développement de la microbiologie. Dans ces conditions, l’action régulatrice des ingénieurs des Mines s’accentue et se précise au tournant des xixe-xxe siècles, en prenant pour objet principal la prévention des explosions. Ce n’est qu’avec l’épidémie d’ankylostomiase des années 1900-1905 que l’hygiène fait son entrée dans le répertoire d’action des ingénieurs.

Le troisième chapitre étudie le positionnement des compagnies minières face au projet proprement bio-politique de l’État et de ses ingénieurs. Dans le siècle du libéralisme triomphant, les entreprises refusent l’intervention directe de l’État dans la gestion de la main-d’œuvre, et développent pour cela des institutions de prévoyance (caisses de secours et de retraite) et de soins (services médicaux, hospices et hôpitaux) privées. Ces services supposent alors le recrutement de médecins, en charge non seulement des secours à apporter aux ouvriers victimes d’accidents du travail, mais aussi de la santé générale des populations des bassins miniers. Un véritable contrôle sanitaire, inscrit dans la logique du paternalisme industriel, s’instaure alors : la médecine pratiquée dans les bassins est une médecine industrielle, qui vise avant tout à la production et à la reproduction de la force de travail. Toutefois, l’étude précise des trajectoires des médecins employés, ainsi que de leurs archives, permet aussi de nuancer ce constat. Pour beaucoup, les conditions d’exercice de la médecine sont loin d’être satisfaisantes, car les compagnies sacrifient le bien-être des praticiens aux impératifs d’économie et de rendement. Par ailleurs, bien que les médecins des mines contribuent effectivement au tournant microbiologique et à la minimisation du rôle de l’environnement professionnel dans la contraction de maladies, ils n’en jouent pas moins un rôle majeur de médicalisation et d’hygiénisation des populations ouvrières.

L’action conjuguée des ingénieurs des Mines en matière de sécurité et, paradoxalement, celle des médecins des mines en matière de santé, contribue alors à modifier profondément les attitudes des ouvriers mineurs face aux risques. Ceux-ci cessent d’être associés consubstantiellement au métier et à sa « culture », pour devenir un enjeu social et politique. Les revendications du mouvement ouvrier des mineurs depuis 1848, en faveur de la justice sociale et de la démocratisation des relations industrielles, donnent par ailleurs un programme au syndicalisme des mineurs en matière de risques professionnels : l’instauration de délégués ouvriers à la sécurité et à l’hygiène, chargés d’apporter une contre-expertise technique aux exploitants, aux ingénieurs et aux médecins. Cette institution devient effective en 1890 : le quatrième chapitre accorde alors une large place à l’étude de cette forme tout à fait originale de « démocratie technique » dans les mines, en montrant son articulation aux savoirs ouvriers et au militantisme syndical, ainsi qu’à ses conséquences sur les relations salariales et sur l’amélioration de la sécurité au fond. De plus, les délégués mineurs deviennent, en vertu de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents professionnels, de véritables experts techniques et juridiques qui contestent les pratiques de sous-enregistrement chronique des médecins des mines, et dénoncent leur accointance avec les visées productivistes des compagnies. Ces représentants du personnel s’associent alors avec des médecins indépendants et socialisants pour fonder des cliniques syndicales autonomes, dont les développements sont suivis à Lens et à Saint-Étienne jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

Au total, l’ouvrage met en évidence un processus long de transformation du rapport au risque dans les mines de charbon françaises au xixe siècle : la « sécurisation » des mines, c’est-à-dire le processus social de co-construction de la sécurité, passant par l’équilibrage et la négociation entre des savoirs et des pouvoirs concurrents et complémentaires. Cette sécurisation a pour caractéristique principale la traduction d’un ensemble de phénomènes scientifiques et techniques relatifs à la sécurité (les explosions, l’environnement souterrain, les outils de travail, etc.) en des problèmes sociaux et politiques. Chez les ouvriers mineurs, elle produit notamment un processus de « dé-fatalisation » des risques professionnels, qui sont désormais perçus et compris à l’aune de relations sociales inégalitaires. Ce processus long de sécurisation aboutit vers 1900 à un équilibre entre les représentants de l’État, des exploitants et des ouvriers, qui sera renforcé au cours de l’entre-deux-guerres par le développement des instances tripartites de négociation sanitaire. Toutefois, cet équilibre sera violemment remis en cause au cours des années 68 du xxe siècle, par une nouvelle génération militante qui dénoncera paradoxalement sa capacité à faire consentir les ouvriers aux risques industriels.

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