A lire dans la revue 3D d’octobre 2020 de l’association des auditeurs de l’INT

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L’INSPECTION DU TRAVAIL FACE AU SERVICE
DU TRAVAIL OBLIGATOIRE (1940 – 1944)

Cette journée d’étude, organisée le 19 novembre 2019 par l’Association pour l’étude de l’histoire de l’inspection du travail (AEHIT), et le Groupe d’histoire d’Île de France, avec le concours du Comité d’histoire des administrations chargées du travail de l’emploi et de la formation professionnelle (CHATEFP) et de la DIRECCTE d’Ile de France, a donné lieu à des débats très intéressants sur un sujet resté tabou jusqu’à ce jour.
En effet, c’est aux services de l’inspection du travail que fut confiée la tâche de dresser les listes de volontaires pour partir travailler en Allemagne durant l’Occupation nazie, entre 1940 et 1944. Tâche redoutable à laquelle furent confrontés d’anciens collègues inspecteurs du travail et période sur laquelle Lionel de Taillac, Directeur du travail honoraire, s’est penché, en ouvrant des archives, jusque-là restées pas ou peu exploitées.

Avant son intervention, plusieurs chercheurs reconnus pour la qualité de leurs travaux, ont présenté le contexte de l’époque et ses imbrications sur la vie des Français, sur les relations sociales et sur l’Administration confrontée à la « collaboration ».

Pourquoi et comment renouer les fils d’une histoire longtemps
restée taboue ?

Vincent Viet(1), Chercheur au CERMES, a tout d’abord donné son éclairage sur le contexte particulier de cette époque, en s’interrogeant sur celle de la Charte du travail mise en oeuvre par le Maréchal Pétain
et ses ministres qui ont répondu à la demande de l’occupant nazi, d’envoyer de très nombreux travailleurs français assurer la relève des travailleurs allemands appelés à se battre sur le front russe. Ce sont près de 4,5 millions de Français qui ont travaillé de gré ou de force pour l’Allemagne nazie, entre 1940 et 1944.

Le rôle de Vichy et la question du travail, ambitions et limites des réponses institutionnelles et juridiques

La présentation de Jean-Pierre Le Crom(2), Directeur de recherche au CNRS à Nantes, a permis de mieux saisir la problématique des gouvernants de la France vaincue et occupée, imposée aux administrations, notamment celle chargée du travail, avec la mise en place du syndicat unique et obligatoire, le retour aux corporations et la création de comités sociaux d’entreprise, avec une protection sociale élargie. C’est aussi le temps d’un élargissement des conventions collectives, point moins connu de cette époque et qui restera limité malgré tout, compte tenu de l’environnement dirigiste du régime de Vichy.

Servir, mais servir qui ? Eléments pour une typologie des réactions administratives face à l’Occupation, la Révolution nationale et la Collaboration

Marc-Olivier Baruch(3), Directeur d’étude à l’EHESS à Paris, connu pour ses travaux sur la Fonction publique sous le régime de Vichy, s’est interrogé sur cette question. Dès le 22 juin 1940 après la signature de l’Armistice, Pétain déclarera que « le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer au règlement des autorités militaires allemandes, et à collaborer avec ces dernières de manière correcte». Tout est dit et l’inspection du travail va devenir le fer de lance de cette injonction pour assurer la  relève.

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L’Inspection du travail et de la main d’oeuvre sous l’Occupation, 1940 – 1944, une administration singulière à l’épreuve de la Collaboration d’ETAT

Grâce au travail de recherche et de mémoire qu’il a entrepris, Lionel de Taillac permet d’approcher les difficultés, et aussi les dilemmes, devant lesquels se sont retrouvés les inspecteurs du travail de l’époque, car après un appel aux « volontaires » pour l’Allemagne, il va falloir passer par « l’obligation » dès 1942, et c’est à eux que revenait la tâche de dresser la liste nominative des salariés aptes à partir en Allemagne, entreprise par entreprise, parmi celles dont la main d’oeuvre qualifiée était indispensable pour faire tourner les usines de guerre en Allemagne. Les absents, lors de ce contrôle, devaient être signalés à la police française, pour être interpellés et conduits dans les trains en partance pour l’Allemagne. Mais ce fut aussi l’occasion, pour de nombreux salariés, de rejoindre les maquis.
Certains inspecteurs ont refusé l’application de ces mesures au péril de leur vie, comme Jean Isméolari, risquant de se retrouver en camp de concentration, notamment en mettant en place une « commission
d’appel » chargée de vérifier l’aptitude médicale, et dont les « examinés » ressortaient bien souvent « inaptes » au grand dam des autorités allemandes. Mais la grande majorité des inspecteurs du travail, a respecté, sans doute à contre-coeur, ces consignes et, à titre d’exemple, plus de 200 000 travailleurs qualifiés ont rejoint les usines allemandes rien qu’entre octobre et décembre 42… Pierre Lamy inspecteur en Haute-Savoie, résistant, parcourait son département pour distribuer des tracts appelant au sabotage, il est arrêté à son bureau le 26 juin 1944, par la Gestapo, torturé, et exécuté le 18 juillet.
Enfin une petite minorité a joué la collaboration à fond, au point que deux responsables régionaux ont été condamnés à mort à la Libération par les « commissions d’épuration », mais n’ont pas été exécutés…
L’inspection du travail n’a pas été la seule administration exposée à l’obligation de collaborer. Sans doute, son attitude a-t-elle été ni plus honteuse ni plus glorieuse que d’autres administrations exposées à la collaboration. Il reste aux inspecteurs du travail à panser leurs plaies, à surmonter leurs divisions, à s’appuyer sur l’énergie permise par leurs nouvelles ressources. La société française attend d’eux qu’ils réussissent leur propre reconstruction. Malgré ses défaites et ses déconvenues, une nouvelle Inspection du travail émerge de cette période, qui n’a plus rien à voir avec la petite organisation qui existait au début de la guerre.

Pour avoir plus d’information sur cette très intéressante journée d’étude, je vous invite à aller sur le site internet « www. aehit.fr » où vous aurez accès à l’intégralité des interventions et du débat avec les participants ; les travaux de Lionel de Taillac seront bientôt publiés à la rentrée, dans les Cahiers du CHATEFP.

Bernard Laurençon (4)

 

 

(1) Vincent Viet, Michel Dreyfus, Michèle Ruffat, Danièle Voldman, « Se protéger,
être protégé : une histoire des assurances sociales en France », PUR, 2006.
« Histoire des Français venus d’ailleurs de 1850 à nos jours », Collection poche “ Tempus”, Perrin, 2004.

(2) Jean Pierre Le Crom : « Syndicats, nous voilà, Vichy et le corporatisme »,
L’Atelier 1995, et « La protection sociale sous Vichy », PUR 2001 et « Au secours,
Maréchal, l’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944) » PUF 2013.

(3) Marc-Olivier Baruch : « Servir l’État français. L’Administration en France de
1940 à 1944 », Paris, Fayard, 1997. « Des lois indignes ? Les historiens, la politique
et le droit » Paris, Tallandier, 2013.

(4) Président de l’AEHIT, Association pour l’Etude de l’Histoire de l’Inspection
du Travail

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