invitation à la rencontre sur le quarantième anniversaire des lois Auroux – 8 novembre 2022

Le 8 novembre 2022, la Fondation Jean Jaurès et l’ Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle ( l’INTEFP) organisent une rencontre sur le quarantième anniversaire des lois Auroux.

Elle aura lieu entre 9h et 13 H à Paris 75009, 12, cité Malesherbes. Elle est ouverte à tous.

 

Trois tables rondes sont organisées :

– la première sur l’histoire de la conception et de l’adoption des lois Auroux

Une deuxième sur le rôle actuel de l’inspection du travail : qu’en attendons-nous ?

La troisième les 40 ans après les lois Auroux, quelles réformes pour demain ? 

L’AEHIT apporte sa contribution à cette rencontre. Joël Cogan, ancien directeur du travail, présentera le rôle de l’inspection du travail dans l’application des lois Auroux.

 L’AEHIT a réalisé une enquête sur l’inspection du travail entre 1981 et 1986 à partir d’un questionnaire envoyé à plus de 250 anciens agents et à laquelle plus de 80 ont répondu.

(Cette enquête a été réalisée entre les mois de mai et d’octobre 2022. Joël Cogan, Jean-Jacques Guéant, Isabelle Laffont-Faust, Christian Lenoir, Bernard Laurençon, Sylviane Robertin, Vincent Ruprich et Lionel de Taillac, y ont participé. Tous étaient inspecteur, contrôleur ou directeur entre 1981 et 1986).

 

Une première synthèse vous est présentée dans le document présenté ci- dessus:

« Présentation de l’enquête

L’enquête de l’AEHIT a pour objet de mieux connaitre l’inspection du travail entre 1981 et 1986. Un questionnaire a été adressé par courriel à plus de 250 anciens inspecteurs, contrôleurs ou directeurs du travail en activité totale ou partielle au cours de ces cinq années. Les questions, fermées et ouvertes, ont porté sur les activités exercées, les choix opérés par les agents, les relations avec leur environnement, l’organisation interne du service et une appréciation sur l’action du service. Plus d’un tiers de réponses ont été reçues et analysées.

La moitié des personnes ayant répondu avaient moins de trente ans en 1981.

97 % ont été recrutés après 1970 et 87 % après 1974. Les deux tiers étaient inspecteurs, 28% contrôleurs, et 9 % directeurs ou directeurs adjoints. Une majorité (65 %) venait de terminer des études supérieures juridiques, économiques ou en sciences politiques. Le tiers sont des femmes, taux proche de celui des inspectrices en fonction en 1981.

Cette enquête n’est pas une étude qui aurait nécessité d’exploiter des archives. Elle repose sur la mémoire, forcément sélective et parfois défaillante. Les inspecteurs relevant du ministère du travail sont surreprésentés : un seul de l’agriculture (itepsa) a répondu et aucun du secteur des transports. Enfin, ce sont des agents ayant exercé entre 1981 et 1986 qui ont procédé à l’exploitation du questionnaire. Malgré ces limites, il ressort une grande cohérence des réponses révélant le tableau d’une inspection du travail bien particulière à cette époque.

I- Les services en 1981-1986

En 1981, les services sont confrontés à une crise économique sans précédent qui touche la France depuis la fin de l’année 1973. L’industrie, jusque-là dominante dans l’économie française entame un déclin irrémédiable. Des usines ferment. Des secteurs et des bassins industriels s’affaissent. Les procédures de licenciements se succèdent. Le nombre de chômeurs passe de 2 millions en 1981 à 2,7 millions à la fin de 1986. A partir de 1975, l’État renforce ses politiques d’intervention sur l’emploi et le chômage. Sous l’autorité des préfets, les directions départementales du travail et de l’emploi (DDTE) sont l’échelon privilégié de l’action ministérielle, les directions régionales n’ayant qu’une mission de coordination et de contrôle des directions départementales. Les DDTE multiplient leurs interventions aux côtés de l’ANPE : contrats d’insertion, main-d’œuvre étrangère, création d’entreprise, animation du service public de l’emploi, subvention aux missions locales et de l’insertion par l’économique, chômage partiel, aides du FNE notamment préretraites, contrôle des chômeurs. La loi du 3 janvier 1975 soumet les licenciements économiques à leur autorisation.

Il s’ensuit un renforcement considérable des effectifs budgétaires des services extérieurs du travail et de l’emploi, qui, après une période de stagnation entre 1955 et 1972, doublent entre 1973 (4000) et 1986 (8100). Cette croissance concerne particulièrement les effectifs des inspecteurs qui passent de 326 en 1974, à 480 en 1986 et surtout ceux des contrôleurs qui de 1006 en 1974, atteignent 2439 en 1986. De nombreux directeurs adjoints viennent assister le directeur départemental et le directeur régional sur les questions d’emploi et du travail. Les services se dotent progressivement de moyens de fonctionnement décents.

Grâce à l’INTEFP transféré à Marcy-L’Etoile, la formation initiale et continue des inspecteurs et contrôleurs commence à se développer.

L’arrivée massive de jeunes agents renforce la transformation sociologique déjà commencée dans les années 1960. Les nouveaux inspecteurs ne sont plus des instituteurs qui entament une seconde carrière mais des étudiants souvent issus des classes moyennes qui sortent de Sciences- Po, droit ou sciences éco et qui entrent dans le métier avec une motivation sociale et politique. Cette nouvelle génération post soixante-huitarde met l’accent sur le contrôle, plus que sur la médiation ou le conseil comme le faisaient leurs ainés, et n’hésite pas à adhérer à un syndicat confédéré, CFDT ou CGT. En 1981, des jeunes inspecteurs créent l’association Villermé pour rompre leur isolement dans l’exercice de leur métier. L’élection de François Mitterrand en 1981 puis la mise en œuvre des mesures sociales, leur ouvrent des perspectives et engendrent un élan mobilisateur au sein des services.

II- Une inspection du travail engagée

Sans doute, la nostalgie a sa part. Mais l’exploitation du questionnaire fait ressortir l’impression générale d’une inspection qui s’engage, d’une dynamique collective et même selon l’expression de l’un d’entre eux, d’un « certain plaisir à travailler ».

Et pourtant, les services affrontent des situations difficiles. Tous les agents ou presque visitent régulièrement les entreprises. Ils n’ont rien de bureaucrates et se rendent sur place deux à trois jours par semaine pour procéder à des enquêtes, constater de visu les problèmes, traiter une plainte d’un salarié ou d’un délégué, analyser des accidents du travail, assister à des réunions de CHSCT.

Pourtant, le quotidien des inspecteurs à qui le directeur a le plus souvent délégué sa signature, est très occupé par les procédures d’autorisation des licenciements économiques. Ils y consacrent une bonne partie de leur activité, certains y passant 40 ou 50 % de leur temps, voire davantage. S’ajoutent les procédures de licenciement des représentants du personnel, la plupart pour des raisons économiques qui concernent tous les inspecteurs. Pour 50 % d’entre eux, elles sont une pratique régulière et une pratique très fréquente pour 23 %. Les agents procèdent aussi à des enquêtes de chômage partiel, alternative au licenciement. D’une façon générale, la situation de l’emploi pèse sur l’exercice du métier. Les précarités sous des formes très diverses, se propagent et compliquent le contrôle. Les demandes d’informations et les plaintes des salariés se multiplient, mobilisant notamment les contrôleurs du travail. En complément de l’activité des services de renseignement dont les modalités de fonctionnement sont très variables selon les départements, inspecteurs et contrôleurs reçoivent le public deux fois par semaine lors de demi-journées de permanences, souvent bondées et épuisantes. Ces réceptions sont souvent à l’origine d’interventions en entreprise : la pratique est fréquente pour 40 % d’entre eux et régulière pour un même pourcentage. 73 % disent procéder ponctuellement à des médiations. Cette forte pression de la demande individuelle réduit les activités de contrôle des conditions de travail auxquelles, pourtant, 60 % disent se consacrer très souvent. 63 % enquêtent régulièrement ou très souvent sur des accidents du travail.

Dans ce contexte, la tâche d’assurer l’application des lois Auroux n’est pas perçue comme une contrainte. Inspecteurs et contrôleurs adhèrent aux réformes engagées et s’investissent dans leur mise en œuvre. Plus des deux tiers (68 %) disent y consacrer une part importante de leur activité et 29 % une faible part. Leur implication est forte sur l’ensemble des lois ; 97% disent être présents sur les règlements intérieurs, 95 % sur les 39 heures, 92 % sur les instances représentatives du personnel, 76 % sur les CHSCT, 73 % sur le droit d’expression, 71 % sur la négociation collective d’entreprise. De façon plus précise, ils investissent quatre champs principaux : le contrôle des règlements intérieurs, la mise en œuvre des nouveaux droits des délégués du personnel et des comités d’entreprise, la mise en place des nouveaux CHSCT et l’intérim. Leur action s’exerce de façon plus ponctuelle sur l’application de l’ordonnance relative aux 39 heures et la cinquième semaine de congés. Quant au droit d’expression directe et collective et à la négociation annuelle obligatoire d’entreprise sur les salaires et le temps de travail, qui relèvent de la responsabilité des partenaires sociaux, les inspecteurs se limitent à faire respecter le cadre légal. Le plus souvent, ils interviennent quand une difficulté surgit après une plainte d’un syndicat.

III- Des forces et des faiblesses

D’après les réponses recueillies, la grande force de l’inspection du travail réside dans l’autonomie professionnelle des agents : 92 % affirment disposer d’une grande liberté d’initiative pour organiser leur travail, 24 % totale et 68 % importante. Seuls 6 % invoquent une faible marge. Celle liberté permet à l’agent de fixer ses priorités et de consacrer une partie de son activité selon ses appétences ou centres d’intérêt. Ainsi, certains sont plus motivés par les conditions de travail quand d’autres s’attachent à lutter contre des formes d’emplois précaires ou le travail illégal.

De façon unanime, le cadre de la section d’inspection leur convient. Qualifiée par un inspecteur de « petite famille », la section autorise un travail d’équipe entre un inspecteur et des contrôleurs, voire des secrétaires, quand l’entente est bonne entre eux. Pour la moitié des répondants, le travail en équipe est fréquent et régulier pour 44 %. Seuls 4 % soulignent l’absence de collectif dans la section et 10 % constatent l’absence de réunion de section.

Une autre force est la qualité des relations tissés avec les partenaires. Les représentants du personnel des entreprises les sollicitent régulièrement. Les liens sont étroits et réguliers avec les agents du service de prévention de la Caisse régionale de la Sécurité sociale et de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics ( l’OPPBTP) qui les forment sur le tas. Les partenariats sont plus ponctuels avec les services de l’URSSAF, de la police ou de la gendarmerie à l’occasion d’une opération de travail illégal ou d’un accident grave du travail. L’action pénale garde son importance. Les agents de contrôle disent dresser 10 à 20 procès-verbaux par an en moyenne et n’utilisent qu’exceptionnellement la procédure de référé. Mais, les procédures pénales ont un effet symbolique à l’égard des employeurs. Son efficacité dépend beaucoup des Parquets avec lesquels les relations sont très variables selon les départements.

Le repli sur la section est une faiblesse de l’inspection. Les inspecteurs se plaignent de leur isolement et d’une action de service très atomisée. L’approche collective, variable à l’intérieur des sections, dépasse rarement ce cadre, sauf pour des questions comme le contrôle du repos dominical. La direction régionale apparait bien lointaine et l’administration centrale est surtout sollicitée pour répondre à des questions sur un dossier ou donner une interprétation juridique. Le directeur départemental est considéré, souvent mais pas partout, comme absent du champ travail et submergé par les questions d’emploi. Le déficit d’animation des services est pointé : 55 % des répondants critiquent le manque d’animation, de conseil et d’appui de la part de la hiérarchie quand 40 % jugent ce rôle positif. Pour 41 %, son apport est neutre et pour 14 %, il apparait purement bureaucratique.

Enfin, malgré les progrès, la faiblesse des moyens de fonctionnement est mise en avant : lenteur à pourvoir les postes vacants, absence d’équipements individuels de protection, remboursement tardif des frais de déplacement, déficience de la documentation y compris du code du travail fourni aux agents, formation insuffisante, carence en équipements de bureau, absence de budget suffisant pour les timbres, etc.

En conclusion:

les agents de l’inspection du travail apparaissent en adéquation avec le système social où ils sont des acteurs engagés et reconnus. Avec des moyens réduits, ils font face pour le mieux aux enjeux. Ils contribuent à assurer une régulation sociale de proximité dans un contexte rendu difficile par les nombreuses suppressions d’emploi. Leur action pour rendre effectives les lois Auroux vise à parfaire un modèle social reposant largement sur la loi et le règlement auxquels ils sont très attachés. En juillet 1986, la suppression de l’autorisation administrative des licenciements économiques marque une bifurcation. Le développement de la négociation collective ouvre aussi de nouveaux horizons pour les branches et les entreprises en offrant une place nouvelle aux acteurs sociaux ».

Contenu lié

Retour en haut