Claude Lagarrigue répond à l’enquête sur le métier d’inspecteur du travail
En 2022 et 2023, l’association pour l’étude de l’histoire de l’inspection du travail (AEHIT.fr), comité régional d’Île-de-France du Comité d’histoire des administrations du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, a réalisé deux enquêtes sur le métier d’inspecteur du travail :
- La première sur la période 1967-1974,
- La seconde sur la période 1981-1986.
Nous publions in extenso certaines de ces réponses, témoignages de l’évolution de l’exercice du métier d’inspecteur du travail en contact direct avec les entreprises, dans des périodes de fortes mutations économiques, sociales et sociétales, qui reste mal connu.
Claude Lagarrigue :1969-1974
1° Informations personnelles
LAGARRIGUE Claude, né en 1938, licencié es sciences physiques et chimie et DES d’optique électronique obtenus en quatre ans à la faculté des sciences de TOULOUSE. Enseignant en deuxième cycle du secondaire ( seconde à terminale) pendant cinq ans avec 2 ans et demi de coupure pour faire mon service militaire.
Au cours de mon service, j’avais été nommé après avoir encadré de jeunes commandos de marine, officier social et j’avais découvert l’utilité humaine que l’on pouvait avoir en travaillant dans le domaine social.
Ayant perdu le feu sacré dans l’enseignement, je cherchais à changer d’orientation. Le Directeur Départemental du Tarn et Garonne, monsieur PINEAU en parlant à mon père lui a parlé de la possibilité ouverte à l’inspection du travail qui augmentait ses recrutements.
C’est ainsi que j’ai démissionné de l’Éducation nationale et suis entré à la direction du travail de Montauban, comme contrôleur contractuel le 2 mai 1968.
Reçu en fin d’année aux concours d’inspecteur du Travail et de la main d’œuvre tant au Travail qu’aux transports j’ai opté pour le Ministère du travail.
Inspecteur stagiaire à Paris en 1969 j’ai été nommé inspecteur du travail des deux sections du 11ème arrondissement de Paris. Après deux années dans cet arrondissement, Monsieur QUEBRE, D.D.T.E.F.P du Val d’Oise, qui me connaissait, m’a demandé de remplacer l’inspecteur du travail d’Argenteuil et de la moitié du 95.
C’est ainsi que j’ai été I.T. titulaire dans deux sections d’affilée avec aussi les intérim de collègues promus, en congés ou malades fréquents sur PARIS. Passant le plus clair de mon temps au contrôle dans les entreprises j’ai beaucoup appris surtout avec les inspecteurs qui me conseillaient quand j’avais besoin d’aide car nous étions trois I.T. rue d’Aligre.
J’ai quitté l’inspection en 1974, à la demande de l’administration centrale pour aider le chef du service handicapés dans l’écriture du projet de loi sur le handicap puis de créer et diriger un établissement public administratif : l’Organisme Technique pour l’Aménagement des Postes.
2° Caractéristiques des sections
A Paris, le 11ème était à l’époque très industriel, j’avais même une fonderie et surtout 130 000 salariés. Imprimeries, ateliers de découpe et de formage, tournage, industries du meuble constituaient les activités principales de l’industrie.
Les activités tertiaires étaient aussi très importantes avec de très grosse entreprises de confection et naturellement des sièges sociaux et des commerces et agences en tout genre.
Ce que l’on a du mal à imaginer c’est les conditions de travail de l’époque dans les caves et des locaux vétustes, les forêts de poulies et de courroies de certaines entreprises, les installations électriques anciennes avec encore des quartiers en courant continu.
Pour m’assister dans mon travail il y avait deux contrôleurs du travail et un secrétariat de trois personnes dont deux dactylographes.
A Argenteuil, ma section était aussi très industrielle avec les grandes zones d’Argenteuil et de Bezons.
Toute une partie de l’activité d’Argenteuil était orientée vers l’aviation avec l’usine DASSAULT. L’industrie du caoutchouc, la mécanique lourde, la fonderie, la parfumerie, les établissements de jeux, les chantiers et entreprises de construction, les commerces, les cliniques et l’hôpital, et les établissements participant à la vie courante…
Là encore deux contrôleurs du travail et un secrétariat de deux personnes : une secrétaire et une sténo-dactylographe complétaient l’effectif de la section .
La voiture étant indispensable pour effectuer les contrôles, il a fallu changer mon véhicule qui était très usagé.
3° Activité
L’activité principale à Paris était la visite de contrôle des entreprises pour vérifier que les règles sur l’hygiène et la sécurité du travail sont bien respectées, que les horaires sont conformes aux règlements en vigueur et que les salaires sont payés et conformes à ceux de la convention collective.
En tant qu’Inspecteur, je contrôlais les entreprises occupant plus de cinquante salariés où la présence syndicale dans les instances représentatives du personnel est prévue par la loi. La règle était d’effectuer deux contrôles par jour de contrôle.
L’activité annexe, outre les réponses aux nombreux courriers qui occupaient souvent mes soirées au domicile et la rédaction de procès verbaux était la réception au cours des journées de permanence des salariés et patrons venant demander conseil ou porter plainte souvent de très longues après midi de personnes qui faisaient la queue en plus des rendez vous planifiés par la secrétaire en début de matinée.
La médiation dans les conflits était fréquente dans les entreprises secouées par les grèves de mai 1968. A Paris, il y avait quelques conflits alors qu’à Argenteuil, il n’y avait quasiment pas de journée où je n’avais pas de conflit à résoudre.
4° Les relations avec les syndicats
A Paris, les rencontres avaient lieu lors des visites dans l’entreprise au cours d’entretiens systématiques avec les élus ou bien avec les membres des U.D, voire des fédérations lors des conflits.
A Argenteuil, les secrétaires de l’Union locale ou de l’Union départementale venaient systématiquement demander notre intervention dans telle ou telle entreprise ou bien notre
médiation dans les conflits individuels ou collectifs.
La CGT très majoritaire était bien sur l’organisation la plus présente. FO, très présente dans les commerces, était peu interventionniste au niveau des services. La CFDT était en cours de constitution locale avec de nombreux problèmes internes au niveau des secrétaires de l’U.D.
5° Relations au sein de l’administration du travail
Nous rendions compte mensuellement de notre activité au directeur départemental et régional : nombre de visites, de contre visites, nombre d’observations, de mises en demeure et de procès verbaux.
A Argenteuil, le DDTEFP passait dans le service tous les quinze jours pour parler des problèmes en cours et allait de temps en temps accompagner les agents de contrôles lors d’une visite d’entreprise.
Il y avait une réunion mensuelles à la DD au cours de laquelle nous faisions le point sur les conflits en cours et sur les prévisions d’emploi des entreprises de notre secteur.
l y avait aussi deux réunions par an avec le DR pour rappeler les programmes prioritaires et faire le point sur l’évolution des textes et l’activité des services.
Les relations entre collègues étaient fréquentes et avaient souvent lieu au cours de repas.
J’avais eu des fonctions syndicales à l’EN et le contrôleur du travail d’Argenteuil qui était un véritable ami et dont je partageais les opinions politiques m’a demandé de le rejoindre au syndicat Force Ouvrière .
J’ai suivi le stage de formation qui était animé par A. BERGERON et je me suis trouvé dans une organisation syndicale où nous étions deux inspecteurs. La majorité des inspecteurs étaient dans une organisation issue du départ des inspecteurs, plutôt socialisants, de la CGT en parallèle avec leurs collègues de l’éducation nationale à la FEN. Il ne faut pas oublier que ce sont les instituteurs qui ont constitués l’ossature de l’IT.
Mais, n’ayant pas initialement d’opposants, les dirigeants du SNITMO en avaient fait une amicale très liée à l’administration et aux cabinets ministériels dans lesquels un de leurs adhérents était conseiller social, ces nominations devenant ainsi pour leurs dirigeants un élément de carrière important.
Ce n’est qu’un peu avant mon entrée dans les services que quelques inspecteurs communistes ont créé un syndicat CGT.
Pour ma part, issu de la SFIO, j’estimais que le syndicat doit défendre ses adhérents pour empêcher les injustices et rester, dans son action, indépendant des partis politiques pour protéger les siens des idées contraires aux intérêts des travailleurs de base.
La CFTC, devenue partiellement la CFDT, a pris son envol dans les universités après Mai 1968. Ce sont donc les inspecteurs qui sont entrés dans les services après moi qui ne voulaient pas adhérer à la C.G.T. car elle avait fait la chasse aux gauchistes dans ses rangs, sont venus renforcer la CFDT.
Conclusion
C’est grâce aux services du travail que j’ai eu une vie aussi pleine d’expériences nouvelles et enrichissantes pas choisies mais imposées bien souvent qui ont conduit mon épouse et mes enfants à déménager 12 fois au cours de ma vie.
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