NOTE SUR LA SECURITE ET L’HYGIENE DES OUVRIERS DES HAUTS FOURNEAUX par Babaud Louis (1925)
Louis Léopold Babaud rédige cette note publiée dans les travaux originaux des inspecteurs du travail ( bulletin de l’inspection du travail – année 1925 -pages 360 à 393 ) alors qu’il occupe depuis décembre 1919 le poste d’ inspecteur départemental du travail stagiaire dans la ville de Nancy, capitale du département de Meurthe et Moselle où est concentrée une bonne part de la production sidérurgique français. Dès 1913 l’acier Thomas de la seule Meurthe et Moselle correspond à 69% de la production nationale.
Extrait de la note:
« Les cinq causes d’accidents graves ou nombreux auxquelles sont exposés les travailleurs des hauts fourneaux sont les suivantes : ascenseurs et appareils de levage, brûlures, chutes d’objets, chute de l’ouvrier et causes diverses.
Ascenseurs et appareils de levage. -Sous cette rubrique figurent les accidents occasionnés par un brusque retour de manivelle des treuils utilisés pour la manœuvre des joints à cloches, mais les plus graves sont attribuables au fonctionnement des monte-charges verticaux d’installations relativement anciennes. Sur ces· appareils puissants, dont les ascensions rapides se succèdent sans arrêt, on ne peut, comme dans les monte-charges ordinaires, réaliser des fermetures automatiques d’une sécurité parfaite. Les mécanismes délicats ne résistant pas aux chocs sont remplacés par des systèmes ne s’opposant nullement à la mise en marche lorsque les portes sont encore ouvertes. Cette imperfection a pour conséquence que les ouvriers rouleurs, qui engagent et retirent les boguets, en particulier ceux du bas, sont encore exposés à être serrés sous les portes, dont les fermetures dites à guillotines sont actionnées par les plateaux qui s’élèvent, ou encore sous les boguets mal placés lorsque par suite de malentendus dans la transmission des signaux ils sont renversés au départ.
Avec l’ascension par ponts-roulants montés sur portiques les ouvriers sont exposés à être renversés ou fortement serrés par le balancement des bennes suspendues à grandes hauteurs.
Brûlures. — Les ouvriers fondeur décrasseurs, granuleurs, mouleurs sous halle et casseur de fonte sont exposés à deux sortes de brûlures : par contact et par projection.
Les brûlures par contact sont généralement sans gravité quand elles sont dues au maniement d’outils, des produits ou du sable des halles. Des accidents plus sérieux sont provoqués par les suies chaudes, essentiellement mobiles, qui pénètrent dans les chaussures, mais les plus graves résultent d’un contact avec la foute liquide, soit consécutivement à une chute de l’ouvrier, soit encore que, par inadvertance, l’ouvrier mette le pied sur la fonte insuffisamment solidifiée après sa coulée.
L’écoulement du métal doit être précédé de l’enlèvement du tampon d’argile qui ferme le trou de coulée. Pour cette opération, l’ouvrier, muni de longs outils appropriés, dégarnit l’ouverture de manière à en éviter la détérioration. Or, au cours de ce travail, il se produit parfois, dans la direction de l’opérateur, des projections de scories ou de fonte dont l’importance dépend de la pression intérieure ou d’un écoulement trop rapide; ces projections arrachent même des briques lorsque la maçonnerie est en mauvais état.
Les plus violentes projections provenant du trou de coulée se produisent en pleine marche; au poids du contenu du creuset s’ajoute alors la pression du vent, qui projette le métal et la maçonnerie, chassant au dehors des flammes de plusieurs mètres de hauteur.
Le 27 février 1923, aux Aciéries de L…, un ouvrier atteint dans de telles circonstances fut brûlé mortellement.
Le 15 janvier 1925, un ouvrier des Hauts Fourneaux de N…, atteint par un jet de métal en fusion provenant d’une ouverture de coulée, subit des brûlures mortelles sous les yeux de ses camarades impuissants à lui porter secours.
Au contact de la fonte en fusion l’eau est décomposée en ses éléments et il se forme des mélanges détonants qui peuvent se produire, soit à la sortie du trou de coulée et sous les halles, soit dans le canal de granulation lorsque la fonte atteignant un niveau trop élevé dans· le creuset fuit par la tuyère laitier.
L’humidité des poches, dans lesquelles la fonte est coulée par 30 et 40 tonnes, qu’elle résulte de pluies ou d’un séchage insuffisant du revêtement réfractaire, produit les mêmes mélanges détonants, qui soulèvent le métal en fusion et le rejettent sur les côtés.
Chutes d’objets. -La manutention de quantités considérables de matières premières et de produits finis expose tout le personnel des hauts fourneaux aux accidents par chutes d’objets. Toutefois, ils se produisent le plus fréquemment à l’emplissage des boguets, qu’il s’agisse de chargement à la main ou du chargement sous les accumulateurs; les casseurs et enleveurs de fonte sont également exposés à recevoir sur les pieds les gueuses qu’ils manient.
Chutes d’ouvriers. – L’animation intense qui règne dans les usines métallurgiques, principalement pendant les coulées, est la cause principale des chutes provoquées par les différences de niveau, les obstacles isolés et la circulation dans les escaliers.
Causes diverses. – En dehors des accidents dont les causes sont mal définies figurent sous cette rubrique les asphyxies et intoxications par le gaz de· hauts fourneaux que nous examinerons dans une autre partie de cette note.
Dans les tableaux statistiques qui précèdent ne figurent pas d’accident attribuables à deux autres causes importantes par leur conséquences, bien que peu fréquentes, se produisant dans des conditions que nous nous proposons d’exposer : les percées et explosions de hauts fourneaux.
Percées de hauts fourneaux. – L’action corrosive de la fonte liquide entraîne une destruction des briques réfractaires du creuset, d’autant plus rapide que la température est plus élevée, la pression plus forte et que les matériaux de construction sont de moins bonne qualité. Dès les premiers jours de la mise à feu la paroi du creuset est rongée dans ses parties les moins résistantes et réduite d’épaisseur dans des proportions pratiquement incontrôlables; la fonte se creuse de cavernes d’une profondeur telle qu’elle peut jaillir du sol à plusieurs mètres du creuset.
Par son infiltration au travers d’une maçonnerie qu’elle désagrège elle ouvre parfois des brèches dans la paroi du creuset. La pression intérieure du fourneau aidant, les briques descellées sont soulevées et projetées au loin, la fonte jaillit, l’ouverture s’agrandit et le métal liquide d’un volume de plus en plus important vient au contact des eaux de refroidissement dont la décomposition provoque de violentes explosions.
L’incertitude dans laquelle on se trouve sur le bon état du creuset ne permet pas de prévoir l’imminence des percées, qui se produisent le plus souvent d’une façon tout à fait imprévue.
Exceptionnelles dans la plupart des installations, elles sont redoutées pour les arrêts de fabrication qu’elles entraînent et, surtout pour les graves accidents qui peuvent en résulter. C’est ainsi que le 1er mai 1923, un ouvrier des Forges d’A…, étranger au service des hauts fourneaux, fut mortellement blessé par une brique projetée à une centaine de mètres de distance.
Une percée de haut fourneau, survenue le 22 août 1900, à H…-G…, fit plusieurs victimes parmi le personnel et un ingénieur resta infirme par suite de ses brûlures.
Explosion de haut fourneau. – La percée du haut fourneau, due à une cause bien déterminée, ne peut être confondue avec l’explosion, beaucoup moins fréquente et dont les causes, au contraire, restent souvent inexpliquées.
Par sa forme et par l’épaisseur de sa paroi, construite en briques fortement cerclées de fer sur toute la hauteur, le haut fourneau est capable de résister à des pressions intérieures considérables. Mais un fonctionnement prolongé entraîne une usure de la maçonnerie par le frottement des charges descendantes. De plus sous l’influence des dilatations successives, des briques se déplacent et les cercles, en glissant sur la paroi externe compromettent la solidité du frettage : un haut fourneau ancien devant être réparé incessamment éclata le 16 septembre 1922, aux usines de W…, à· H…
Toutefois l’explosion ne peut résulter que d’un incident de marche : éclatement d’une tympe, retour de gaz dans la conduite d’air comprimé ou descente brusque des charges accrochées.
Les tympes sont des cavités en fonte parcourues par un courant d’eau s’opposant à l’élévation de la température de la maçonnerie dans laquelle elle sont encastrées au voisinage du trou de coulée et des tuyères; or si par suite de l’emploi d’eaux séléniteuses le conduit d’évacuation vient à s’obstruer, la tension de la vapeur d’eau atteint une pression telle que la tympe éclate comme un véritable explosif, détruisant toute la maçonnerie.
Un directeur l’usine nous a signalé qu’une explosion de cette nature survenue dans son établissement vers 1912, projeta une partie de la maçonnerie du creuset à plus de 15 mètres de distance et que la masse du haut fourneau, cessant d’être soutenu à la base, s’effondra sur le sol, sans heureusement blesser les ouvriers.
Le retour des gaz dans la conduite d’air comprimé exige une dépression dans le haut fourneau par suite d’arrêt des soufflantes lorsque l’évacuation des gaz cesse d’être assurée par les appareils de consommation, le gueulard étant fermé. Dans ce cas il se produit un mélange détonant qui explose dam la conduite des souffleries.
On attribue à cette cause un accident grave, survenu en 1922, dans une usine luxembourgeoise à la suite d’un arrêt simultané des services. Les explosions du haut fourneau proprement dit semblent plutôt être la conséquence d’accrochages. L’accrochage est caractérisé par un arrêt dans la descente des matières chargées au gueulard; non seulement la production est suspendue mais la qualité des produits obtenus après sa destruction est toujours de qualité inférieure.
Tant qu’il persiste le vent agit moins efficacement. les gaz ne traversent plus les charges, les appareils de récupération se refroidissent et le creuset ne maintient plus sa température.
….. ……… …
Actuellement ii arrive encore que l’on attaque le pendu (mot technique désignant l’accrochage) à l’aide de pinces. Toutefois les procédés les plus employés sont :
1o Introduction d’explosifs dans la masse, au moyen de tubes spéciaux;
2° Variations successives de la pression de l’air soufflé;
3° Utilisation de tuyères de secours disposés à des hauteurs déterminées par l’expérience.
Lorsque l’on opérait par l’ouverture du gueulard, au moyen de barres de fer, les ouvriers étaient également exposés à des chutes dangereuses dans le haut fourneau. On a cité le cas de cinq ouvriers tombés dans un haut fourneau et disparus, au cours d’un travail de ce genre exécuté dans un établissement du Luxembourg.
Lorsque la descente des matières a été longuement retardée, leur chute dans le creuset bouleverse toute la marche, des carbones pulvérulents s’enflamment spontanément en produisant un volume gazeux considérable qui, s’il ne trouve d’issue suffisante, peut déterminer l’explosion du fourneau. L’explosion survenant dans de semblables circonstances risque toujours de faire de nombreuses victimes parmi le personnel que le travail de décrochage nécessite autour de l’appareil. C’est ainsi qu’après un accrochage ayant persisté pendant quarante jours, aux usines de R…, la chute du pendu provoqua une explosion tuant deux ouvriers et en blessant grièvement deux autres. ‘
Dans une usine belge, le 19 juillet 1922, l’effondrement d’une masse suspendue dam le haut fourneau provoqua l’explosion de la cuve; on annonça deux ouvriers tués sur le coup, trente et un ouvriers atrocement brûlé , dont quatre ayant succombé à leurs blessures, et dix en danger de mort.
Mais, nous l’avons dit, les explosions peuvent être dues à des causes indéterminées; parmi les exemples cités par Léon et Maurice Bonneff (2), nous rappellerons que le 10 janvier 1907, aux Aciéries John Laughlin, de Pittsburg (États-Unis), un seul ouvrier sur soixante aurait échappé à l’explosion d’un haut fourneau.
L’effondrement des bâtiments voisins et la torsion des poutres métalliques que provoquent de tels accidents montrent tout le danger qui peut en résulter pour les travailleurs. »
Note sur la sécurité et l’hygiène des ouvriers des hauts fourneaux Babaud. Louis docx
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